
Après avoir visité Bhaktapur et retrouvé Juliette à Katmandou, nous voilà partis, Lachie, Juliette et moi direction Pokhara pour s'approcher un peu de l'Himalaya. Au programme, une randonnée de cinq jours dans le massif de l'Annapurna. Une fois reposés -ou pas, difficile de se remettre du décalage horaire en deux nuits pour Juliette-, nous achetons nos permis de trekking, une carte et j'investis dans un poncho géant pour la pluie et un bâton de marche supplémentaire.

Le lendemain matin, départ pour Nayapul, où commence le trek. Après un trajet de deux heures aussi éprouvant pour le dos que pour les nerfs, nous voilà lancés ! Le premier jour se passe plutôt tranquillement, nos sacs sont -trop- lourds, mais il fait beau et les paysages sont magnifiques. Nous nous arrêtons en milieu d'après midi à Tikhe Dhunga pour passer la nuit et nous endormons en appréhendant un peu la difficulté qui nous attend le lendemain : un dénivelé de quelques 1300 m, en montée bien sûr !

Le jour 2, je ne prends pas de photo. Pendant deux heures, de hauts escaliers nous mènent au village d'Ulleri. J'ai transféré deux-trois trucs dans les sacs de mes compagnons et me suis délestée d'un litre d'eau, je n'aurais pas pu envisager de continuer sans leur aide -mon genou se serait sûrement désintégré. Nous menons notre ascension lentement mais sûrement, déterminés, rattrapant et rattrapés par les mêmes groupes de porteurs. Certains transportent jusqu'à trois sacs attachés par des cordes qu'ils placent sur le haut de leur front... D'autres font la randonnée en tongs.

Le paysage change progressivement, et passe des plaines et des rizières à une forêt dense et humide. J'aperçois un bébé sangsue sur une feuille et le montre à Juliette pour qu'elle sache à quoi cela ressemble... Loin d'imaginer que nous aurions tout le reste du trek pour faire plus ample connaissance avec elles ! Après, la pluie commence à tomber et nous faisons une pause pour remplir les bouteilles avant le dernier tronçon qui nous sépare de Ghorepani, là où nous devons passer la prochaine nuit.

Tout à coup, un mouvement de panique gagne notre trio de choc : Juliette vient de sentir une sangsue dans le bas de son dos ! Nous nous mettons à deux pour essayer de la lui enlever, mais celle-ci s'accroche encore plus fort, fait mal à Juliette qui s'agite de plus belle. Je tente de brûler la bestiole avec un briquet -technique éprouvée au Cambodge- mais ne fait que cramer le dos de Juliette, la sangsue, elle, ne réagit même pas. Finalement c'est Lachie qui arrive à décrocher ce monstre tenace qui me fait horreur et à le jeter sur la table. J'ai oublié à quel point ils pouvaient être rapides et vigoureux...

Pour couronner le tout, un groupe avec guide nous rejoint à l'abris et annonce qu'il y a beaucoup de sangsues durant les kilomètres qu'il nous reste à parcourir -ses clients s'enduisent de produits en tout genre et saupoudrent leurs chaussures de sel. De mon côté j'expérimente diverses techniques sur la sangsue de Juliette et constate avec soulagement que le répulsif anti-moustique la fait se recroqueviller et tomber d'elle-même.

Nous repartons donc fébriles et aux aguets -Lachie un peu moins- redoutant d'avance de retrouver en fin de journée une flopée d'autres vers hématophages et gluants cachés sous nos vêtements -moi, hantée par notre attaque de sangsues au Cambodge il y a quelques années, Juliette, à qui j'ai involontairement transmis ma peur. Maintenant que le décor de cette fin de journée est bien planté, vous ne serez pas surpris d'apprendre que nous arrivons à Ghorepani éreintés, hors d'haleine -notre vitesse de croisière ayant doublé- et trempés jusqu'aux os.

Avant de nous coucher, je règle le réveil pour 4h30 le lendemain. L'intérêt du village de Ghorepani est qu'il se trouve à une heure de marche du fameux point de vue de Poon Hill, à 3 210 m. De là-haut, on peut observer un panorama complet de la chaîne des Annapurnas au lever de soleil ! Le jour 3 donc, le réveil sonne et nous regardons par la fenêtre : un épais brouillard agrémenté d'une petite pluie nous décide à rester au lit. De toute façon, nous avions voté pour faire de cette journée une pause repos pour les muscles et les émotions.

En fin de matinée, nous tentons quand même de grimper à Poon Hill -une autre montée bien soutenue- et constatons la non-vue depuis le sommet. Le brouillard est si dense qu'on distingue à peine les flancs de la colline. Il continue de pleuvoir toute la journée et la nuit suivante. Nous mettons quand même un réveil pour retenter notre chance le lendemain matin.

Au matin du quatrième jour, même scénario en pire, la pluie semble deux fois plus forte que la veille et nous refermons les yeux. Par miracle, je me réveille à nouveau un peu avant 6h et constate qu'on aperçoit un improbable ciel bleu entre les nuages ! Branle-bas de combat, en cinq minutes, nous voilà dehors en train d'entamer une course sur 400 m de dénivelé alors que les nuages entrent dans la vallée. À mi-chemin, au bord de la syncope-crise d'asthme-implosion du genou, nous sommes à deux doigts de renoncer, les nuages nous ont dépassés et couvrent déjà le sommet. Juliette qui nous motive pour aller jusqu'au bout coûte que coûte, et nous ne sommes pas déçus...

Arrivés là-haut, alors que le brouillard efface les sommets alentours, le vent dégage soudainement la vue et nous offre un magnifique aperçu de l'est des Annapurnas... Magique ! Pendant une demi-heure, nous restons là, à admirer le spectacle, caché et dévoilé par intermittence dans la brise glacée...

Ensuite, retour au village, petit déjeuner et départ pour cette quatrième journée, plus motivés que jamais. Le brouillard se lève rapidement et nous marchons entourés d'un paysage invisible. La rando est moins fatigante que le deuxième jour mais les sangsues sont au rendez-vous. J'en enlève de mes bâtons et de mes chaussures en croisant les doigts pour qu'il n'y en ait pas trop dans mes chaussettes à la fin de la journée.

Enfin, arrivée au village de Tadapani. Lachie découvre son tibia ensanglanté -juste une sangsue qui est passée par là pendant la journée- alors que Juliette et moi constatons que nos jambes ont été miraculeusement épargnées. Tentative de séchage de nos affaires autour du feu et repos.

Jour 5, lever du soleil, c'est Lachie qui nous appelle pour venir voir dehors... Et quelle surprise incroyable ! Nous avons sous les yeux, si proche, le Machhaphuchhare, sommet de 6 993 m emblématique des Annapurnas ! La lumière est magnifique, encore un moment inoubliable -et pour de bonnes raisons. Le brouillard se lève à nouveau et nous partons pour une grande journée de descente, sans trop de sangsues ni de pluie. Nous traversons le village de Ghandruk, et puis rejoignons Kimche pour prendre un bus retour. Le trajet est mémorable, la route en lacets longe les flancs abrupts de la montagne et Juliette essaye de ne pas trop y penser -après plusieurs mois, j'ai eu le temps de m'habituer !

Enfin, après environ de 4h de route cahoteuse entre bus et jeep, nous arrivons à l'auberge de Pokhara, cette fois-ci vraiment, vraiment épuisés. Il paraît qu'en haute saison, ce trek est une petite boucle facile... Ce n'est pas tout à fait en ces termes que je le décrirais, mais la vue sur les montagnes, rendue rare et chaque fois unique par la présence des nuages, en vaut vraiment la chandelle. Nous festoyons dans un de nos resto favoris, dînons devant Matrix dans un cinéma en plein air et les lucioles se baladent devant l'écran. Tips du jour : •La basse saison existe pour de bonnes raisons : les treks sont vraiment moins agréables, les conditions plus difficiles, et la vue, pas garantie du tout. Bon à savoir avant de se lancer -et il n'y a pas de sangsue à la saison sèche. •Certains guides ne font pas de halte pour dormir à Tadapani et poussent directement jusqu'au village suivant, pourtant le lever de soleil sur la vallée est le plus beau paysage que j'ai vu au Népal.